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Connaissez-vous les Living Labs ? Décryptage avec Adrien Rusch, directeur de recherche à l’INRAE

Le 15 octobre 2025, 50 scientifiques internationaux découvraient les pratiques agroécologiques développées sur le vignoble des Joualles de Cormeil-Figeac, à Saint-Émilion. Cette rencontre s’est tenue dans le cadre du forum international IF-ALL, coordonné par l’INRAE et le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire canadien.

 

Questions à Adrien Rusch, directeur de recherche à l’INRAE (UMR SAVE, Équipe Biodiversité).

 

Propos recueillis par Laetitia Soléry

Qu’est-ce que le forum IF-ALL ?

Il s’agit du Forum international des laboratoires vivants dans les agroécosystèmes. Après une première édition à Montréal en 2023, c’est Bordeaux qui a eu le plaisir d’accueillir cette seconde rencontre coordonnée par INRAE et le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire canadien. Le forum s’est accompagné de trois visites de terrain pour découvrir différents Living Labs régionaux, dont une  organisée par le    autour des relations entre viticulture et biodiversité.

Quel était l’objectif du forum ?

Réaliser un point d’étape sur la recherche, les actions et enseignements liés à la mise en œuvre de la démarche des Laboratoires vivants – ou Living Labs – à l’échelle internationale. Pendant trois jours, l’événement a été animé par plusieurs panels d’échange et des ateliers dédiés à la présentation de travaux scientifiques afin d’échanger autour de pratiques innovantes  , partager les réussites issues d’études de cas et relever les défis auxquels fait face la communauté internationale des laboratoires vivants en agroécologie. Dans ce cadre, les visites de terrain ont permis de favoriser le dialogue, d’inspirer la collaboration et de nourrir une dynamique collective tournée vers l’action.

Vous avez choisi le domaine des Joualles de Cormeil-Figeac pour l’une de ces visites. Pour quelle raison ?

En premier lieu, nous connaissons Victor Moreaud, qui fait partie de notre réseau Bacchus depuis plusieurs années. L’ingénieure de recherche qui travaille avec nous et anime notre Living Lab, Aurélie Vincent, étudie de longue date la trajectoire cette exploitation. Nous avions déjà organisé une manifestation plus modeste sur le domaine et avions beaucoup apprécié la diversité des pratiques qui y sont observables. Nous sommes également sensibles à sa trajectoire d’évolution des pratiques et à la démarche mise en œuvre sur l’exploitation.

Comment qualifieriez-vous cette trajectoire ?

Elle est assez originale et particulièrement intéressante du point de vue de la viticulture   car on y retrouve une réflexion approfondie sur les couverts végétaux, la place de l’arbre, la production de biomasse et, plus récemment, l’installation du maraîchage sur l’exploitation. Je suis chercheur en écologie et travaille à l’échelle du territoire de Saint-Émilion et de l’Entre-Deux-Mers. Organiser une visite de ce domaine nous permet donc d’aborder un grand nombre d’enjeux rencontrés par ce territoire, notamment la question de la diversification, i mportante pour nous en termes de recherche. Ce fut une excellente manière de présenter ces enjeux de manière très concrète à des personnes extérieures, qui ne sont pas familières de la viticulture ou des défis rencontrés par ce territoire.

Nous sommes donc au-delà de la seule écologie ?

En effet, le point commun des interventions de cette journée   n’était pas l’écologie, mais la thématique des « Living Labs en agriculture ». Au cours de ces trois jours, les participants ont écouté des intervenants travaillant sur cette question. C’est un concept original qui représente une nouvelle façon de faire de la recherche. Les disciplines étaient très vastes, incluant les sciences sociales, l’agronomie ou l’écologie.

Les Living Labs correspondent donc à une nouvelle approche de la recherche. À quel besoin répondent-ils ?

Historiquement, cette approche provient plutôt du secteur de la technologie et a essaimé dans différents secteurs comme la santé ou l’urbanisme. Dans le milieu agricole, les Living Labs sont un objet très nouveau. Pour expliquer les choses simplement, les questions de recherches sont traditionnellement formalisées sur un plan disciplinaire dans nos laboratoires, les hypothèses étant par la suite testées en conditions contrôlées d’abord, voire chez des agriculteurs ensuite, avant d’aboutir à une réponse. Les Living Labs remettent en question cette approche en partant des questions que se posent les acteurs – qu’il s’agisse par exemple des agriculteurs, des riverains, des décideurs publics ou des entreprises privées. Le premier niveau du Living Lab est d’associer ces acteurs finaux dès la formulation de la problématique.

Il y a donc un deuxième niveau…

En effet, et ce deuxième niveau, plus ambitieux, est de mener la recherche avec ces acteurs, et non pas pour eux ou à côté d’eux. La science participative en est un bon exemple : les agriculteurs deviennent parties prenantes en collectant eux-mêmes des données. Par exemple, dans le cadre d’un programme porté par la  (Ligue pour la Protection des Oiseaux) et qui a eu lieu sur le territoire de Bacchus , des tablettes avec micros ont été distribuées aux viticulteurs pour identifier les espèces de chauves-souris présentes dans leurs vignes : elles leur permettent de collecter d’importantes quantités de données sur l’activité et la diversité des chiroptères. Victor Moreaud a beaucoup utilisé ces tablettes de la LPO, mais pas seulement.

D’autres outils sont utilisés ?

Au-delà des méthodes participatives, dans le cadre du réseau de parcelles que nous suivons depuis dix ans et dont fait partie le domaine des Joualles de Cormeil-Figeac, nous effectuons également des mesures plus classiques sur tous les compartiments de la biodiversité : prélèvements de sol, points d’écoute d’oiseaux, collecte d’insectes.

Comment exploitez-vous ces mesures de biodiversité ?

La philosophie des Living Labs repose sur un processus itératif. Nous revenons vers les acteurs avec des résultats, même s’ils ne sont pas totalement aboutis, afin que le temps de la recherche se rapproche le plus possible de leur propre temps d’action. Notre propre démarche sur Bacchus a évolué ainsi : nous avons réalisé que lorsque nous présentions nos résultats aux viticulteurs, leurs questions (non disciplinaires, mais liées au terrain) n’étaient pas toujours celles auxquelles nous répondions. Nous avons donc décidé de changer notre approche : nous avons identifié avec eux des grandes questions ou défis qui apparaissent pertinents, et l’idée est dorénavant de « reboucler » avec eux pour évaluer si leurs attentes initiales ont été satisfaites, et de réajuster notre stratégie de recherche en fonction de leurs retours. Par ailleurs, nous avons élargi notre équipe de recherche pour être plus pertinents.

Avez-vous ouvert votre équipe à d’autres disciplines ?

En effet, nous sommes allés chercher cinq autres laboratoires locaux, principalement situés autour de Bordeaux (Université de Bordeaux, CNRS, Inserm). Tous s’intéressent aux activités agricoles mais avec des approches très différentes, nous avons ainsi réuni des experts en sciences économiques et sociales, en chimie de l’environnement, en médecine (santé humaine), en agronomie, et nous, en écologie. Travailler ensemble nous rend plus à même de répondre aux questions des acteurs du territoire.

Pour conclure, avez-vous eu des retours sur la visite des Joualles de Cormeil-Figeac ? Qu’a-t-elle apporté aux participants au forum ?

Je les ai sentis très enthousiastes. D’après mes échanges a posteriori, ils ont été sensibles à l’accueil de Victor Moreaud et de sa sœur Coraline, et cette immersion dans le domaine leur a permis de bien saisir le contexte de la viticulture mais également l’engagement de l’exploitation pour des pratiques agroécologiques originales.

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Living Labs: 50 scientists explore the agroecological practices of Les Joualles de Cormeil-Figeac

 

On October 15, 2025, 50 international scientists discovered the agroecological practices developed at the vineyard of Les Joualles de Cormeil-Figeac in Saint-Émilion. This visit took place as part of the international IF-ALL forum, coordinated by INRAE and the Canadian Ministry of Agriculture and Agri-Food.

 

Interview with Adrien Rusch, Research Director at INRAE (UMR SAVE, Biodiversity Team)
Interview by Laetitia Soléry

 

What is the IF-ALL forum?

It’s the International Forum of Living Labs in Agroecosystems. After the first edition in Montreal in 2023, Bordeaux had the pleasure of hosting this second event, coordinated by INRAE and the Canadian Ministry of Agriculture and Agri-Food. The forum included three field visits to discover different regional Living Labs, one of which was organized by the Bacchus Living Lab and focused on the relationships between viticulture and biodiversity.

What was the goal of the forum?

To take stock of research, actions, and lessons learned related to the implementation of the Living Lab approach at an international scale. For three days, the event featured several discussion panels and workshops dedicated to presenting scientific work, exchanging innovative practices, sharing successful case studies, and addressing the challenges faced by the global community of agroecological Living Labs. The field visits aimed to foster dialogue, inspire collaboration, and strengthen a collective action-oriented dynamic.

You chose Les Joualles de Cormeil-Figeac estate for one of these visits. Why?

First of all, we know Victor Moreaud, who has been part of our Bacchus network for several years. The research engineer working with us and leading our Living Lab, Aurélie Vincent, has been studying the development of this farm for a long time. We had already organized a smaller event at the estate and greatly appreciated the diversity of practices observed there. We are also particularly interested in how the estate has evolved and in the approach adopted in its management.

How would you describe this evolution?

It’s quite unique and particularly interesting from a viticultural perspective, as it involves deep reflection on cover crops, the role of trees, biomass production, and, more recently, the introduction of market gardening on the estate. As an ecologist working on the Saint-Émilion and Entre-Deux-Mers territories, organizing a visit to this estate allows us to address many key local issues, especially diversification — which is an important research topic for us. It was an excellent way to present these issues in a concrete way to visitors who may not be familiar with viticulture or the challenges specific to this region.

So it goes beyond ecology?

Indeed. The common theme of the day’s discussions was not ecology itself but rather the topic of “Living Labs in agriculture.” Over the three days, participants heard from speakers working on this concept — an innovative approach that represents a new way of conducting research. The fields involved were very diverse, ranging from social sciences and agronomy to ecology.

So Living Labs represent a new research approach. What needs do they address?

Historically, this approach originated in the technology sector and later spread to fields such as health and urban planning. In agriculture, however, Living Labs are still quite new. To put it simply: traditionally, research questions are defined within disciplinary frameworks in laboratories. Hypotheses are tested first in controlled environments and sometimes later on farms, eventually leading to answers. Living Labs challenge this model by starting from the questions raised by local actors — farmers, residents, policymakers, or private companies. The first level of a Living Lab is therefore to involve these end users right from the formulation of the research problem.

And there’s a second level…

Exactly — and this second, more ambitious level consists of conducting research with these actors, rather than for or beside them. Citizen science is a good example: farmers become active participants by collecting data themselves. For instance, as part of a program led by the LPO (Bird Protection League) in the Bacchus territory, tablets equipped with microphones were distributed to winegrowers to help identify bat species in their vineyards. These devices allowed them to collect large amounts of data on bat activity and diversity. Victor Moreaud made extensive use of these LPO tablets, among other tools.

Are other tools used as well?

Beyond participatory methods, within the network of vineyard plots we’ve been monitoring for ten years — which includes Les Joualles de Cormeil-Figeac estate — we also carry out more conventional biodiversity measurements: soil sampling, bird listening points, and insect collection.

How do you use these biodiversity measurements?

The philosophy of Living Labs is based on an iterative process. We go back to stakeholders with our results — even preliminary ones — so that the research timeline aligns more closely with their own decision-making pace. Our approach within the Bacchus network evolved in this way: we realized that when we presented our results to winegrowers, their questions — which were often practical rather than disciplinary — didn’t always match the issues we were addressing. So, we decided to change our approach. Together, we identified key questions and challenges relevant to them. The idea now is to “close the loop” with them to assess whether their initial expectations have been met and to adjust our research strategy accordingly. We’ve also expanded our research team to increase relevance.

Have you opened your team to other disciplines?

Yes. We’ve brought in five other local laboratories, mostly based around Bordeaux (University of Bordeaux, CNRS, Inserm). They all focus on agricultural activities but from very different perspectives. We now collaborate with experts in economics and social sciences, environmental chemistry, medicine (human health), agronomy, and our own field, ecology. Working together allows us to better address the questions raised by local stakeholders.

Finally, what feedback did you receive about the visit to Les Joualles de Cormeil-Figeac? What did it bring to the forum participants?

I sensed a great deal of enthusiasm. From my follow-up discussions, participants were particularly moved by the warm welcome from Victor Moreaud and his sister Coraline. This immersion in the estate helped them gain a better understanding of the local viticultural context and of the estate’s strong commitment to implementing original agroecological practices.

 

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